Cher Laurent, tu avais raison, le cadre brisé, c’était un signe. Aï m’avait dit, un jour, que tu avais cherché à revenir vers moi, après toutes ces années. Je ne m’en étais pas rendu compte. Retour inattendu à une histoire ancienne, rangée, rongée, dépassée. La dernière fois que nous nous sommes croisés, la dernière fois que nous avons partagé nos morceaux de vie, tu nous as vus, Aï et moi, vivre, créer, reprendre notre histoire, après avoir tant hésité, trébuché, cherché, renoncé, avancé, reculé. C’était amusant, touchant, avec le recul. Avec le recul, j’ai longtemps pensé que l’on était condamné à revivre les mêmes erreurs, encore et encore et encore. Ensuite, j’ai changé. Ensuite, je suis revenu en arrière. Et puis ensuite, je me suis enfoncé. Cela m’aura pris du temps pour t’écrire, mais je ne suis pas mécontent d’y arriver. Peut-être es-tu parti loin à ton tour, depuis. J’ignore si tu as avancé ou si tu es resté là où tu nous avais laissés. Tu m’as observé pendant des années, et j’en ai fait de même avec toi. On le voulait bien. Ensemble. J’ai dû me dire que ça nous rassurait. Toi dans ta peine, moi dans la mienne. Communes. À peu près la même, et rien à voir, parce qu’on a fantasmé la même vie comme un artifice, une excuse. Envie de se lever, d’avancer, de prendre notre revanche. Écrasés trop longtemps. Trop gentils en substance pour répondre. Alors on s’est créé un monde. Mais c’était baisé pour toi, parce que tu m’as pris pour un modèle quand je ne faisais rien d’autre que de me tirer des balles dans le pied. Que tu reproduisais. Un vrai laboratoire. Moi ici, toi là-bas. La planète entre nous, l’époque contre nous. On s’est trompé d’époque. Je ne sais pas ce que l’on a cherché, mais il n’y avait rien pour nous. Je ne sais pas ce que tu es devenu. J’espère que je ne t’ai pas causé trop de torts avec mes histoires. Je repense à ces années perdues. Je ne sais pas si c’est avec amertume, à regret, d’avoir ainsi perdu mon temps. Peut-être n’as-tu pas arrêté de te courir après, toi non plus.
Aï m’a quitté. Un vrai cliché. Quand il a fallu sortir. Longtemps après. Enfermés dans la maison. On avait passé des mois à baiser. C’était brouillon mais c’était bien. Non, pas brouillon. Je ne sais pas comment te le décrire. C’était naturel mais c’était comme une dernière chance à chaque fois. Moi, je ne voulais pas sortir. Aller dehors. Je l’avais fait, avant, je voulais autre chose. Pas Aï. Elle voulait vivre. Elle voulait rire. Pas moi. Je me serais perdu en elle. À tout moment. Disparaître et voir le monde disparaître. On y croyait, je pense, j’en suis sûr. Être ensemble. À deux. Seuls. On était seuls. On l’avait toujours été. Le monde n’a existé pour nous qu’au début. Souvenirs de l’extérieur. Le Lycée. La classe. Les autres élèves. Les gens. Takashi. Mon père. Moemi. Nobuko. Des présences, devenues fantômes. On a dormi ensemble, l’un contre l’autre, enfoncés l’un dans l’autre, pendant longtemps. Nous avions ce que nous voulions. J’avais ce que je voulais. Je ne sais pas, je n’ai pas su si Aï le voulait. Mais je ne lui ai pas demandé. Jamais. Je ne voulais pas dormir. Je ne voulais pas la perdre, encore et encore. Pas me réveiller sans elle. Pas dormir. Ne pas dormir. La chaleur était écrasante. Un jour, quand il a fallu sortir, Aï m’a dit qu’elle m’aimait. J’ai pris peur, parce que j’ai repensé à Moemi. Elle était barrée, mais je l’aimais sans savoir ce que cela voulait dire, et elle avait réussi à m’aimer. Quand on était l’un dans l’autre, Aï et moi, j’ai repensé à Moemi. Je me suis dit que j’avais eu de la chance, parce que je me serais bien fait chier avec elle. Bien sûr, c’est moi qui avait un problème, pas elle. Moi, j’avais besoin de l’avoir, simplement besoin de l’avoir, sans savoir quoi faire ensuite. Juste l’avoir. C’était con. Illogique. Il n’y avait rien de logique.
Mon père était parti. Je n’ai jamais voulu le revoir. Je me demande ce qui se serait passé si il avait choisi de rester. Je n’aurais jamais vécu tout cela. Je n’ai jamais aimé l’extérieur. Il me terrorisait lorsque j’étais enfant. J’ai appris à vivre avec, à le côtoyer, à le connaître, par manque de choix, par obligation. Je ne l’ai jamais souhaité. Aimé, voulu, désiré, accepté. Je m’y suis forcé sans choix, sans raison. Je suis venu à lui. Tu m’as connu quand cela faisait seize ans que j’y faisais mes premiers pas. C’était amusant, touchant, stupide, navrant, émouvant, désolant. Ma seule chance, à ce moment, était de savoir que tu étais comme moi. Se serrer les coudes. On s’est serré les coudes. Pour aller nulle part. Pour partir. Voyager en nous, serrés en nous, enfoncés en nous. Ensuite, j’ai changé. Je me suis mis debout. Le monde est resté. Tel quel. Pas une once de changement. J’y ai marché. Immobile. Je croyais être en mouvement. Mais c’étaient les gens autour de moi qui bougeaient. Pas moi. Et quand je les ai quittés, quand je me suis isolé, quand je suis revenu en arrière, quand j’étais avec Moemi, quand le monde a cessé d’exister, pour une fois, enfin, pour la première fois, quand la neige est tombée, je me suis demandé pourquoi j’avais attendu aussi longtemps avant de m’enfoncer. Je me suis enfoncé. Les deux pieds devant. Tête vide, creuse, froide. Les larmes aux yeux, souvent. Moemi bougeait. Je la voyais bouger. Et je la fixais, immobile. Déguisé, épuisé, j’attendais Aï. Planté. Incapable de bouger, déguisé, masque arboré, rassurant, me rassurer que je faisais le bon choix. Je n’ai jamais fait ce choix. Je me suis contenté de le souhaiter. Sans savoir ce que c’était que ce choix. Le monde s’effritait. Il a fini par tomber. Pleinement. Écrasé contre la maison. Contre Moemi. Comme avant, contre Nobuko. Comme avant, contre moi. Contre la maison. Qui a tenu bon. Elle a tenu bon, parce qu’elle ne pouvait rien faire d’autre. Elle était devenue le monde, elle avait pris sa place. La grande maison vide emplissait le monde. Elle a mangé le monde et elle a mangé Moemi et elle m’a mangé. Elle n’a rien recraché. Seulement Aï. Elle a recraché Aï, quand j’étais en elle et que le monde se limitait à elle, à l’immense maison vide. Elle a recraché Aï, et nous étions heureux et nous étions seuls, et nous nous sommes enfoncés l’un dans l’autre, et je n’ai plus voulu dormir et j’entendais la maison respirer et Aï a voulu sortir et Aï est partie.
J’avais des rêves. Tu en avais aussi. Je rêvais de faire des livres pour les enfants. De les faire rêver avec mes livres. Mais tu avais raison, le cadre brisé, c’était un signe. Des piles de papiers, du matériel de dessin, un bureau, voilà ce qu’il en reste. Resté dans la maison. La maison m’a craché à son tour. Dehors, la neige était restée. La même neige qu’avec Moemi, la même neige qu’avec Aï. Elle m’a laissé m’enfoncer, vaguement, doucement, sous la lumière blanche. La neige blanche et moi en moi par-dessus moi autour j’ai craché, j’ai vomi, j’ai gerbé tout ce que j’avais englouti, la peine, le vent et le sel, la grande maison vide, le monde. Je suis resté malade pendant des mois. Quand j’ai ouvert les yeux, quand je me suis relevé, un ami de mon père m’a recueilli et m’a trouvé un boulot. Il est architecte, comme lui. Je ne savais rien faire dans ce monde, je n’avais aucun diplôme. Je suis resté à nettoyer des plans, à travailler sur un ordinateur, à mettre leurs projets en page. Je présume que je lui dois beaucoup, parce que je me suis au moins remis sur les rails, je suis sorti de l’ornière, de la fosse. Mais j’y ai aussi enterré mes rêves, dans cette fosse que j’avais moi-même creusée. Je me sens seul et triste. Je me suis senti seul et triste. Je le sens toujours. Moins fortement qu’avant. Je m’habitue. C’est une lente érosion. Un effondrement patient. Et je continue d’attendre, sans savoir quoi attendre, sans savoir ce qui viendra. Sans savoir où est Aï, où est la maison, où sont les autres, sans savoir si je les reverrai, si ils me reverront. Je me contente d’attendre. Je suis bien ici. Je me repose. Je suppose.
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Cher Laurent, voici neuf mille jours que nous nous connaissons — à quelques unités près, ne chipotons pas —, et pour la première fois nous nous écrivons depuis que tu nous as laissés, Aï et moi, à l’époque où nous commencions enfin notre histoire. Nous n’avons, curieusement, pourtant jamais eu besoin d’échanger pour s’assurer que nous continuions de penser l’un à l’autre, mais recevoir de tes nouvelles, après toutes ces années, ne m’en a pas moins fait très plaisir. Et de constater qu’il est plus que temps de prendre la plume à mon tour afin de satisfaire ta légitime curiosité.
Le début de notre histoire — notre véritable histoire, après tant d’échecs — fut idyllique, il va sans dire. Pourtant, Aï et moi avions tellement attendu ce moment, tant espéré, tant morflé, qu’il nous était alors à chaque instant comme difficile de croire enfin en notre chance, d’accepter de nous reposer et de laisser notre esprit vagabonder. Je te rassure, nous n’avons guère longtemps perdu notre temps : lorsqu’il nous est apparu que nous avions la vie devant nous, nous avons fait ce que tout couple passionné fait au début de la relation : nous avons acheté des chips et de l’alcool, avant de baiser comme des lapins, à ne plus vouloir mettre un seul pied dehors pendant des semaines. Oui, « baiser comme des lapins » ! Je devine ta surprise en lisant cette phrase — tellement éloignée du Yota que tu as connu, ce prude et chevaleresque adolescent qui ne voulait rien faire de répréhensible en pensant à Moemi, comme il le disait à l’époque. Mais que veux-tu ; chauffé à blanc par mes précédentes histoires qui m’avaient laissé sur la béquille, profondément touché par la disparition de Aï avant son inespéré retour à mes côtés, je me suis délecté de ce dont je n’avais fait que rêver pendant si longtemps, porté, guidé par toute l’expérience de Aï en la matière. Festival de jouissance, alcool et café en parts égales sans discontinuer, extras et en-cas qui ici ne seront pas détaillés. J’ai plongé, avalé, noyé, hurlé, dansé, dévissé. Souvenirs prodigieux d’une saison hallucinée.
Et puis il a fallu sortir. L’année scolaire était terminée. Je triplais ma seconde. Vaincu par l’absence. Nul diplôme en poche. Le Lycée m’avait définitivement renvoyé. Mon père subvenait toujours à mes besoins, à distance. Il n’était pas revenu, n’avait jamais rencontré Aï, mais continuait de m’abreuver. Je m’en contentais parfaitement depuis des années, mais cela finissait par gêner Aï. Elle nous a sorti de notre tanière, mis dehors, m’a incité à me reprendre — faire quelque chose de ma vie. Retour à la réalité. Brutal. Passer de l’extase consommée à lécher le sol, mort de soif, froid, mal partout. Ma rééducation ne se fit pas sans peine. Aï et moi déchantions soudain. Je découvrais ce que coûte une passion quand elle prend fin. Englobés, englués dans le quotidien. Pour la première fois, nous devions penser à notre avenir, travailler, faire des plans, des projets. Alors que j’avais vécu enfermé chez moi, en moi, depuis ma naissance. J’avais bien compté sur mes livres. À force de vivre en eux, par procuration, j’avais souhaité en créer à mon tour. Pouvoir rendre tout ce qu’ils m’avaient apporté. Transmettre. Donner l’envie de lire. Bénéficier de cet éditeur que j’avais rencontré lorsque j’étais encore avec Moemi. Mais il ne suffit pas d’essayer. Pas de monde idéal, orchestré. Tellement loin de la réalité. Je m’étais investi, avais travaillé sur ces projets sans compter. Le silence pour tout retour. Un échec supplémentaire, difficile à accepter. Mettre du temps à se relever. Aï m’a soutenu. Et puis mon père est revenu. Il se sentait peut-être coupable de m’avoir laissé pendant toutes ces années. J’avais fini par le rendre responsable de ma situation, de mon point mort social. Pas tout à fait tort, même si, avec un brin d’humour, j’admets que je n’aurais jamais rencontré Aï si il était resté avec moi — je lui dois au moins ça. Nos retrouvailles furent houleuses. Aï, encore elle, encore une fois, a beaucoup œuvré pour nous rapprocher. Pour elle non plus, ça n’a pas été facile. Elle avait trouvé un boulot chez un styliste. Rien de surprenant la connaissant, mais les places étaient chères et elle a dû se battre tous les jours pour garder la sienne. En plus de me gérer. Mon père m’a trouvé un emploi chez un de ses amis. Architecte, lui aussi. Intégrer son cabinet, mettre en page leurs projets, nettoyer les plans, les photos. Travail lénifiant, pour moi, usant. L’enfant gâté voyait ses rêves piétinés par la nécessité. Je devenais aigri, me sentais incompris. Alors que j’aurais dû reconnaître ma chance. Prendre au moins mon mal en patience, si je voulais, si j’espérais, trouver mieux, ailleurs. Mais la passion qui s’écroule est mauvaise conseillère : je vivais dans le passé, incapable d’accepter ma situation, d’avancer, de reconnaître, d’admettre tout ce que Aï faisait pour moi, jour après jour, dans l’espoir de me voir de nouveau sourire. On s’est séparés. Aï est partie. Vaincue à son tour. Par ma faute. Elle a eu le réflexe de se protéger, enfin, au dernier moment. À raison. Elle a toujours été beaucoup plus forte que moi. Tellement plus volontaire. Son départ m’a tétanisé. Je suis resté assis. Lorsque j’ai découvert son absence. Et puis il s’est passé quelque chose d’inattendu. Assis deux minutes. Relevé d’un coup. Comme un ressort. Tu te souviens de Natsumi ? C’est comme si elle était revenue, me chercher par la main. Bien sûr, il n’y avait personne. Nul autre que moi. Un claquement de doigts. Sorti d’un cauchemar. Pour la première fois, je bougeais, j’avançais seul. Terrifiant et grisant et excitant. Quelques mois d’adaptation. Réapprendre à marcher. À vivre. Des rencontres. Des histoires. Quelques essais de relation. Des coups d’un soir. Profiter. Multiplier. M’amuser enfin. Jeter derrière moi, loin, tout ce que j’avais été contre mon gré. Tout ce qui était abimé. Aux orties. Réparer, reprendre, reconstruire. Espérer, croire, réaliser. Penser comme Aï. Essayer, échouer, réussir. Penser à Aï. Nous avons fini par nous revoir, trois ans après. Nous retrouver comme si de rien n’était. Comme avant. Sans surprise. Sans doute en avions-nous besoin. De nous être éloignés. Pour mieux recommencer. Nous avions beaucoup appris, beaucoup vécu, trajectoire identique, chacun de notre côté. Nous avions beaucoup à échanger. Nous nous sommes écoutés. Prendre soin l’un de l’autre.
J’ai repris mes crayons, mes projets. Contre toute attente, la chance de m’épanouir dans mes livres sans dépendre de qui que ce soit. Liberté gagnée. Fragile récompense à la saveur certaine. Je travaille toujours dans le même cabinet d’architecte. Aï essaie toujours de percer dans le stylisme. Ce n’est pas toujours facile pour nous deux, mais nous avançons. C’est ce que nous faisons de mieux, finalement — avancer ensemble. Victoires personnelles. Victoires communes. Succès dilués en neuf mille jours.
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Cher Laurent, de l’endroit où je t’écris, il fait constamment beau et blanc. Les gens sont gentils et attentionnés. C’est chouette. Parfois un peu bruyants, mais je n’hésite pas à me boucher les oreilles quand on me dit que c’est nécessaire. J’ai été très heureux de recevoir de tes nouvelles. Je suis content de lire que tu as bien avancé depuis la dernière fois. C’est chouette. Tu as grandi, dis donc. Pas en taille, mais tu sembles plus fort qu’avant. Moi aussi je suis devenu plus fort, tu verras un jour, si je reviens. J’ai eu plein de super moments. C’était chouette. Il y avait Aï et moi, et on avait invité Grand-Père. Tu sais, celui du vidéo-club. Hé bien, c’était une chouette soirée, Grand-Père nous parlait des nouvelles filles qu’il avait acquises et comment il allait encore les donner à des lycéens comme moi avant. Hé bien figure-toi qu’il en avait donné une à Hiromé, mais en fait non tu ne sais pas qui c’est : Hiromé c’était un de mes élèves, et il était un peu comme moi avant, quand Grand-Père m’avait donné Aï à moi, et lui à lui il lui avait donné Len, mais après Len elle a disparu. Ils étaient gentils tous les deux. Alors voilà, Grand-Père nous racontait tout ça, c’était chouette, et puis la police a défoncé la porte d’entrée et les fenêtres et c’était fou parce que Grand-Père s’est levé de table d’un coup, il est sorti de table sans demander si il pouvait, et ça ne se fait pas, et la police a crié qu’il avait une arme, et Aï et moi on n’a pas compris, et il y a eu des tas de bruits de pétards, et de la fumée, et après Grand-Père était allongé par terre. Nous on était étonnés, tu imagines bien, alors la police nous a dit que Grand-Père faisait dodo, et ils l’ont emmené, et je me suis dit que Papa n’allait pas être content quand il allait rentrer parce que sa belle maison était toute cassée et pleine de trous et que Grand-Père avait mis du rouge tout partout. Alors que je l’y ai dit à la police, que c’était pas très gentil de faire ça et que j’allais me faire houspiller par mon Papa, et la police, enfin un monsieur de la police, m’a dit que, hé bien, mon Papa ne reviendrait pas parce que la police, pas le monsieur de la police mais toute la police, elle avait trouvé que mon Papa avait fait plein de choses avec de l’argent qui ne lui appartenait pas et qu’il avait abandonné un mineur pendant des années quand le mineur était un mineur, mais je sais pas qui c’est, je n’ai pas retenu, et c’est fou et alors j’ai voulu m’agacer contre la police parce que, quand même, tu me connais, je suis aussi capable de faire du chantier, même si ça me réussit rarement, et la police avait l’air désolée, et ils sont partis quand d’autres messieurs sont arrivés, avec du blanc partout, et ils nous ont fait des sourires, c’était rassurant, alors je me suis calmé parce que bon, tu me connais, je sais aussi me calmer, et j’ai regardé Aï qui ne disait rien, elle était bizarre parce qu’elle ne me répondait pas, et les messieurs nous ont emmené en nous disant que tout allait bien se passer, alors on est partis.
Quand on est partis, on est partis, et Aï est partie sans moi mais avec d’autres messieurs. J’ai demandé pourquoi, et là on m’a dit que ma copine avait besoin d’un break, de s’éloigner un peu de moi, mais qu’après cette pause parce que ça arrive dans la vie des adultes, et là j’étais très fier d’être considéré comme un vrai monsieur par des messieurs, mais que ça irait mieux ensuite, qu’elle m’aimait toujours et qu’elle reviendrait après avoir été gardée en observation, et moi aussi ils m’ont observé et je suis arrivé dans cet endroit d’où je t’écris, où il fait constamment beau et blanc. Alors tu vois, je vais bien et c’est chouette. Je manipule du papier avec des bords ronds et une craie grasse pour t’écrire et je ne sais pas si tu pourras lire parce que c’est pas facile d’écrire autant avec une craie grasse, mais je vais bien et je ne sais pas si je te l’ai déjà dit et je vais bien. Ah oui, par contre Aï ça ne va pas fort, elle s’est suicidée. Du coup, on a rompu, et je vais pouvoir coucher avec Nobuko et Moemi et Natsumi, mais je crois que Natsumi est morte aussi, et les gens ici disent que Nobuko et Moemi ont décidé qu’elles avaient besoin de temps avant de me revoir et que donc je ne coucherais peut-être pas avec. Ah oui, et on m’a dit aussi que Takashi n’avait jamais existé. Non mais c’est fou ça, c’était mon seul ami et il n’a jamais existé ? Je n’aurais jamais cru ça de lui. Mais bon, c’est la vie, comme on dit quand on est un monsieur, parce que je suis un monsieur maintenant, tu imagines, quarante ans, juste comme toi. Je me demande comment tu vas, et comment va Aï, et Grand-Père, et mon Papa. Quand on se reverra, quand je reviendrai, on se fera une soirée tous ensemble avec Grand-Père, je te le présenterai, tu verras, c’est chouette, et Aï nous fera à manger comme au début, avec Moemi, et on passera une bonne soirée, et Grand-Père te passera une cassette vidéo avec une fille, tu verras, c’est chouette.
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